Chambre d'écoute #11 : Le Corps révélé : tracklisting
Introduction
Merci d’être là ce soir. Le prétexte pour cette soirée est de vous présenter, pour la première fois, les tableaux d’Etienne Lengrand. Nous sommes (Ingrid et moi) amis avec cette famille depuis longtemps mais c’est seulement lors de nos vacances ensemble en Espagne que j’ai vu Etienne pratiquer le croquis. Plus récemment encore (cet été), nous avons eu un premier contact avec sa peinture. Notre enthousiasme nous a très vite soufflé l’idée de mettre sur pieds ce projet commun. Je remercie Etienne de m’avoir accordé sa confiance et je lui donne la parole pour ces quelques questions échangées par mail.
La peinture d’Etienne Lengrand : brève interview virtuelle
Etienne Lengrand
Né le 26 décembre 1963
>Qu’est ce qui motive le choix d’un sujet ?
Le sujet s’impose à l’artiste en tant que résultat d’une observation permanente. Un geste, une attitude, un mouvement crée l’émotion, touche ou bouleverse l’artiste. Le représenter, le dessiner est une tentative de l’appréhender, de mieux le cerner.
>Tes personnages affichent une certaine « vulnérabilité ». Es-tu d’accord avec cette affirmation ?
C’est, je pense, une interprétation possible parmi d’autres. Mes personnages sont hermétiques, impassibles mais pas spécialement vulnérables. L’expression qui transparaît sur leur visage permet qu’on puisse s’y projeter et à chaque observateur d’y apporter sa propre symbolique, sa propre fantasmatique ou, au contraire, de susciter la crainte de l’inconnu, du monde sans repères ....
>Quels seraient tes pères spirituels (dans l’histoire de l’art ou celle des idées) ?
Pour n’en citer que quelques-uns :
Goya, Bacon, Hockney, Marlène Dumas et Lucian Freud.
>D’où vient cette dimension temporelle (attente, désœuvrement, etc…) dans tes tableaux?
Je pense que mes personnages sont la castration incarnée. Dans leur attente, leur immobilisme, ils renvoient le spectateur au vide, au non-dit, d’où ce malaise qui peut s’en dégager, en lui laissant un champ d’ouverture. Il s’agit d’un temps suspendu qui ne laisse aucune intentionnalité, chacun d’entre-nous y va de son propre imaginaire.
>Quel est le rôle de la nudité dans ta peinture ?
Mes personnages sont rarement complètement nus. Les quelques vêtements qu’ils portent les mettent en scène, révèlent une infime partie de leur personnalité donnant au spectateur l’envie d’en savoir plus et d’y apporter une libre interprétation. Cette quasi nudité est une façon de laisser libre cours à tout un chacun.
>Quelle serait ta définition de l’art ? Et son rôle ?
L’art, selon moi, est le reflet d’une ou des sociétés à un moment précis. Il permet non seulement à l’homme de trouver des repères dans le monde dans lequel il vit mais aussi de l’enrichir personnellement en suscitant chez lui des sentiments, de l’émotion...
Le corps révélé : tracklisting
General Magic : I love you (label Mego): J’ai choisi ce morceau pour commencer car, sauf dans le cas extrême du viol, la naissance d’un corps passe par un sentiment. Ici, il est exprimé par General Magic sur un ton robotique et répétitif. Ce duo est composé de Ramon Bauer et Andi Pieper. A trois (avec Peter Rehberg, voir infra), ils ont fondé le très influent label Mego (dans les années 90, à Vienne). Ils ont aussi cosigné le tout premier morceau de ce label « Fridge Trax », réalisé entièrement avec des bruits de frigo (un futur classique pour notre série « Objets »). General Magic s’est spécialisé dans l’exploration de software.
SPUNK : Kamelmusikk (label Rune Grammofon) : Ce groupe exclusivement féminin a choisi un nom à la mesure de ses ambitions : spunk signifie le cran, le courage mais aussi le foutre. Ce nom est une façon toute sémantique d’émanciper la femme de la domination phallique. Parmi ses membres, ce groupe compte Maja Ratkje, la très prolifique exploratrice sonore (Spunk, Fe-mail, et de nombreuses autres collaborations). Ce disque est publié par le label norvégien Rune Grammofon qui a la particularité de ne publier que des artistes de Norvège. Le fondateur de ce label, à la frontière du jazz bruitiste et de l’électronique pointue, n’est autre que Rune Kristoffersen du groupe des années 80 Fra Lippo Lippi.
Efterklang : Fœtus (label Leaf): Suite logique du chemin que j’ai décidé de suivre, après le sentiment et l’échange de fluides, la création d’un fœtus. Cet ensemble danois s’est formé en 2001. En 2003, ils sont rejoints par un réalisateur de films et leur travail graphique devient très important. Leur premier album Tripper (dont est extrait Fœtus) rassemble 32 musiciens (on y trouve des violons, des cuivres et un collage sonore de videos).
Colleen : babies (label Leaf): Le fœtus, par encore pleinement une personne, va naître. Le corps enfin se révèle à ses parents. Ce premier contact passe par la peau et par la rupture. Colleen est le nom d’artiste de Cécile Schott (une parisienne tout juste trentenaire) qui publie depuis quelques années une musique délicate où se mélange des instruments classiques et des sons trouvés et mis en boucle. Certains ici présents étaient au concert qu’elle a donné au Planetarium de Bruxelles (concert-prétexte à la première chambre d’écoute sur l’Espace).
Peter Rehberg : Skin (label Mosz): Plus connu sous le nom de Pita (son appellation pour publier la musique abrasive à laquelle il a accoutumé ses fans), Peter Rehberg est un des fondateurs du label Mego. Les gens de Mego passent souvent pour des terroristes sonores mais c’est parce qu’ils sont convaincus que le bruit recèle un potentiel créateur et libérateur. Ici, Peter Rehberg publie, sous son nom, une musique composée pour un ballet : Fremdkoerper (le corps étranger). L’extrait se nomme Skin.
Polwechsel: Mirror (label HatHut): J’aurais voulu commencer par ce morceau car, en matière de corporéité, tout commence par le miroir. Mais je préfère garder cet extrait comme un petit clin d’œil à Lacan qui associe le miroir et la découverte, par le jeune enfant, de son corps et de l’altérité. Même pour les adultes que nous sommes, il nous faut un miroir pour appréhender notre corps, voire pour le soigner. Le soin et l’entretien se vérifient dans le miroir. La séduction, aussi.
Polwechsel est un collectif autrichien dont les membres changent. La base du groupe est constituée par Werner Dafeldecker (Double bass) et Michael Moser (Cello & computer). Ils sont ici rejoints par Martin Brandlmayer (le meilleur batteur du monde pour moi, cfr. son travail avec Radian, Kapital Band 1 etc.), Burkhard Beins (drums, percussion) et John Butcher (saxophone).
Leur musique appartient au très dynamique champ de l’ « Electro-acoustic improvisation ». Leur méthode de travail consiste à tirer parti de la spécificité de chaque musicien et de redéfinir sans cesse les frontières entre la composition et l’improvisation.
Hanne Hukkelberg : Little Girl (Label Leaf): Bien-sûr, ce corps se transforme en petite fille. Hanne Hukkelberg vient aussi de Norvège. Elle chante depuis qu’elle a trois ans (comme notre petite Elina à qui je dédie cette chanson) et trouve de la musique cachée dans les plus improbables objets (couteau, casserole etc.). Son disque d’ailleurs regorge de petits bruits qui viennent compléter la riche palette d’instruments déployés sur son album.
Babils : Dent de sagesse (extraction) (label Stilll) : Babil : littéralement « abondance de paroles futiles », ce groupe belge, basé à Bruxelles, produit des compositions abstraites basées sur des sons de guitares, basses, claviers, flûtes et petits objets. Le titre me fait penser à plusieurs choses : tout d’abord à notre petite fille qui grandit et qui ressent cette croissance (puberté) jusque dans sa bouche. Ensuite, le dentiste est une épreuve qui nous fait toujours prendre radicalement conscience de notre corporéité (via la douleur, l’anesthésie et le réveil). Pour finir, les personnages d’Etienne Lengrand ont un petit air d’attendre leur tour (pour on ne sait quelles expériences).
Depeche Mode : Somebody (remix) (label Mute): Notre corps grandit et, à son tour, la petite fille veut une épaule sur laquelle prendre appui. L’amour arrive et le sentiment de départ va chercher à se répéter. Les fluides vont reprendre du service : la salive d’abord, la sueur et le sperme ensuite. Depeche Mode est, depuis 1980, un véritable phénomène pop : ils remplissent des stades et sortent des disques au succès sans cesse confirmé. Depuis le début, ils sont sur le label (indépendant jusqu’il y a peu) Mute. Une belle histoire, en somme.
Mi & L’Au : Nude (label Young Gods): Enigmatique, la musique de Mi & L’Au l’est à plus d’un titre. Enregistrée dans un petit chalet en Finlande, ces morceaux furent retravaillés à Brooklyn par le boss du label Young Gods, Michael Gira (ancien leader de Swans).
Nude, le morceau est dans vos oreilles ce soir non pas à cause du titre (c’eût été trop facile) mais bien pour faire honneur aux paroles qui font le lien entre le corps et la peinture, la petite fille devient muse :
“ I welcome you
nude…
Sit down, take a pen, a pencil, some
Clay
My pastels, or a book, or simply lay
Down, and play
For a while...”
Matmos: Lipostudio...and so on (label Matador): Extrait de l’album A chance to cut is a chance to cure (un album fétiche pour moi, déjà utilisé précédemment pour les chambres d’écoute), ce morceau utilise des sons de liposucion chirurgicale (enregistré en Californie en utilisant des scalpels Bard Parker, de l’anesthésiant Draeger, des ventilateurs et du matériel médical de liposucion Gramm). Matmos, comme toujours, pose la question de l’utilisation musicale des sons enregistrés sur le terrain (field recordings). Je trouvais pertinent d’insérer un morceau qui traite de la chirurgie esthétique dans cette séquence sur le Corps révélé. Elle est un rapport contemporain au corps : un rejet de sa propre enveloppe et la quête effrénée pour une autre.
Cass Mc Combs : I went to the hospital (label 4AD): Pour chaque corps, la mort est un horizon indépassable. Le temps des prothèses et autres artifices laisse la place à la décrépitude. « I may soon be gone » nous chante Cass Mc Combs, ce jeune californien de 30 ans qui a trois albums à son actif (deux sur le label 4AD et un nouveau sur Domino Records). Il a été très influencé par le 11 septembre car, à ce moment, il résidait à New York.
Prochaine chambre d’écoute #12
La prochaine chambre d’écoute aura lieu pendant les vacances de noël. Elle se passera chez nous, avec un buffet (comme précédemment). Son nom et son thème : Le Concert des Nations : Les 50 ans du Traité de Rome en musique (série Territoires Imaginaires).
Depuis presque 20 ans, je ramène des musiques pop de mes voyages. Cette soirée sera une occasion de vous faire partager ces disques introuvables, un buffet Erasmus et un cocktail (nom provisoire : Absolut Schengen).
Chambres d’écoute à venir
-#10 DJ Culture : 5x10 (cinq DJs passent les dix morceaux qu’ils préfèrent pour danser). Au Zonneklop, rue de la paix. Un clin d’œil à la dictature du dancefloor.
-#13 H2O : les qualités sonores de l’or bleu (série les 4 éléments). Avec un bar à eaux minérales (comme au Japon).
-#14 Du doigté : l’accordéon et la harpe au service de la musique Pop (série instrument).
- #15 Musique et Politique : de ma commune au monde (et retour) (série Para//èle). Avec des politiques pour préparer les élections régionales de l’année prochaine.
-#16 Central Station : trains, bruits et voyages imaginaires (série Objets)
-#17 New Weird America : les Etats-Unis : un continent sonore imaginaire (série territoires imaginaires)
-#18 Pour continuer en français, taper 1 : le téléphone et ses détournements dans la musique (série Objets)
Si vous souhaitez collaborer sur un de ces projets ou proposer un autre thème, manifestez-vous…
Prolongements (à faire ensemble ou séparé)
Soirée avec Jacques Rancière au Bozar le 21 novembre 2007 : la quatrième et dernière conférence du cycle Dans les plis du présent organisé par notre amie Ivana Momcilivic. Une occasion d’écouter le grand philosophe du « partage du sensible » (et malgré quelques déceptions une référence incontournable pour nous).
Delays versus trio au Vivat scène conventionné danse et théâtre à Armentières (15 minutes de Lille) le mardi 5 février 2008 à 21h : un des dix plus beaux spectacles de ma vie (vu avec Laurence Weerts au dernier festival Danse à la Balsa) où les corps jouent à se filmer en même temps qu’ils se projettent.
The New Pornographers au Botanique le samedi 24 novembre 2007 : un excellent groupe pop-rock du Canada. Rien de porno mais je n’ai pas résisté à la facilité.
D’autres prolongements viendront compléter cette liste.
La TECC
Merci de bien régler votre Taxe pour l’Ecoute Collective et Contextuelle de 5 euros sauf si vous venez assister uniquement au vernissage.
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