Chambre d'écoute # 25 Tracklist
« Tout est lent, brumeux (…) Puis l’humeur passe. Le bruit et la hâte et le flou reviennent et tu te réintroduis dans ta vie, avec ce poids douloureux dans la poitrine. »
Don Delillo, Body Art
Chambre d’écoute # 25 : New Weird America/Les USA, un territoire qui fait à nouveau rêver (série Territoires Imaginaires)
« Bonjour je suis Barack Obama et je suis la personne qui a fait mettre une cravate à Mark Zuckerberg ». Nous sommes fin avril et Barack Obama doit présenter un discours très attendu censé relancer l’économie américaine. Il choisit un symbole : le siège de Facebook. Un peu plus de deux ans après l’investiture d’Obama, que reste-t-il du « Yes, we can ! » ? Doit-on se contenter de Facebook ? (ou de la mort de Ben Laden ?)
Ce soir, nous n’allons pas vraiment proposer des musiques pour illustrer cette constatation qui a des allures de déception. Le titre de cette chambre d’écoute est à prendre à la lettre : une autre amérique existe. Weird signifie « étrange ». Les USA sont un territoire qui fait rêver : grands espaces, grandes mégalopoles, centres névralgiques de la culture et de l’économie, etc… C’est juste que durant les années de Georges W Bush, on avait pas envie d’y aller. Aujourd’hui, tout n’est pas rose au pays de l’oncle Sam mais certains nuages très menaçants sont partis.
Donc ce soir, il sera question de géographie, de culture underground. De cerner en 45 minutes, une scène bouillonante et multiforme. Merci à Congrès et à vous…
Chambre d’écoute # 25 : Tracklist
1/310 Get Outta Here Reagan (Leaf 1998)
Un critique de la revue The Wire a parlé de cette technique d’enregistrement comme d’audio polaroïd. Les membres de ce groupe sont séparés par des milliers de kilomètres. L’un collecte des sons, il les envoie à l’autre qui les empile par couches. Au départ, des sons, des samples, des ambiances sonores (mais aussi photographiques, voir la pochette). De cette palette, les musiciens, tels des Luc Tuymans du son, brossent un tableau singulier de la culture américaine. Chaque morceau est une petite miniature avec un titre qu sonne comme la légende d’une photo. Ce morceau-ci nous servira de point de départ et de perspective historique. Certains d’entre-nous avaient l’âge de comprendre la politique quand l’ancienne star de ciné Ronald Reagan commençait de changer la face du monde. Après, les Bush ont creusé le sillon jusqu’au 9/11. Get outta here Reagan…
2/Haunted House Only when you sleep (Erstwhile Records, 1999)
On commence avec un morceau qui place d’emblée le curseur dans le noir. Ces accords sombres de guitare sont signés Loren Mazzacane Connors. Cet homme est un des maîtres incontestés de ce genre de musique. La guitare installe un climat qui suinte le malaise. Le persian daf de Neel Murgai complète le tableau en déstabilisant les accords. Ce CD est la deuxième parution d’un catalogue qui allait faire date dans l’histoire de la musique électro-accoustique improvisée. Jon Abbey, le boss d’Erstwhile, dépense sans doute un héritage à publier des disques quasi exclusivement par internet à une poignée de fans de par le monde. Une fois par an, il rassemble quelques artistes de son écurie pour une série de soirée/confrontations. Son festival Amplify est passé par Cologne. Cette soirée fût le point de départ de ma passion pour cette ville. La voix torturée qui vous ne tarderai pas à entendre est celle de Suzanne Langille.
3/Earth Mirage (Southern Lord Recordings, 2005)
Earth est le projet un peu fou de Dylan Carlson. Kurt Cobain, le défunt chanteur du band planétaire Nirvana, a été batteur de cette formation qui propose un rock expérimental essentiellement orienté vers la guitare. Earth est un groupe culte, adulé par tout ce que la terre compte de fans de néo-métal, de métal-expérimental (cfr. Notre future chambre d’écoute Expéri-métal : deux mondes que tout opposent ?) La richesse de Dylan Carlson est de mélanger différentes esthétiques : la country/western ose la pose epic rock. C’est Stephen 0’Malley (le boss du label et l’homme derrière le projet Sunn o))) qui a convaincu Dylan de reprendre du service pour le plus grand bonheur de notre imaginaire qui trouve de cette façon sa plus belle bande-son pour une visite des Grands Espaces.
4/Kevin Yost Road less traveled (Distance 2001)
Kevin Yost est un DJ connu et respecté par tous ceux qui aiment danser. Il est un pionnier du mélange house-jazz. Sur ce morceau, il nous emmène sur ces routes moins fréquentées du paysage américain. C’est le moment de casser le rythme dans lequel s’installait doucement cette chambre d’écoute : le blues poisseux. Votre pied devient comme le métronome qui accompagne la vue sans cesse renouvelée (mais toujours pareille) des bornes kilométriques… La route, c’est le rêve américain vu à partir d’un symbole : la voiture. Ces grosses voitures, ridiculement voraces mais tellement intéressantes dans leurs formes et investies par nos imaginaires : le cuir, la radio, la boîte à gants, les insignes de marques…
5/Morel Dreaming of L.A. (Yoshitoshi 2001)
Comme Deep Dish (dont il est souvent la voix), Richard Morel officie à partir de Washington DC. Cette plage house est issue de l’album Queen of the highway et symbolise l’appel de l’ouest. C’est deep, c’est house, c’est le son des dancefloors américains. Les paroles de cet homme (oui je sais celle-ci est plutôt instrumentale) parlent d’un certain malaise américain : social, politique, ethnique,… La musique est comme la bande-son d’un road movie. Les images défilent, pixellisées par les écrans de télévisions et de surveillance.
6/Matthew Dear You put a smell on me (Ghostly International, 2010)
Né au Texas, Matthew Dear a assez vite foutu le camp au Michigan. Là il fonde Ghostly International avec un camarade avec lequel il partage sa passion pour la musique électronique. Sa musique est une fusion habile de la pop et de la techno minimale. Matthew est beau, il a du style. Il illuminait la Rotonde lors de son dernier passage. Moi, j’avais un ticket pour Gonjasuffi : une arnaque montée en épingle (je parle de sa prestation scènique pas de ses disques). Je quitte la salle et je négocie mon entrée dans l’autre salle et je découbre Matthew (que je ne connaissais que de nom). J’achète le disque. Pour la petite histoire, ce morceau faisait partie de ma sélection pour la chambre d’écoute Dance ; sélection qui est passée à la trappe car mon ampli a rendu l’âme. Je prends ma vengeance.
Le titre est un joli jeu de mots entre « jetter un sort » (spell)(parole classique du blues-rock des débuts) et l’odeur (smell) que le bon DJ vous colle à la peau en vous faisant danser. La musique de Matthew est intemporelle : on dirait un vieux Simple Minds, un vieux Talking Heads mais revisité par 2010…
7/David Thomas & Two Pale Boys Highway 61 revisited (Cooking Vinyl 1996)
David Thomas est la tête pensante du groupe Pere Ubu. Légendaire, ce groupe a ouvert la voie/voix à toute une culture alternative américaine dans les années 80. David Thomas tourne encore fréquemment. Sur l’album Erewhon, il pose la questions des endroits imaginaires (tout à fait à sa place dans cette chambre d’écoute qui appartient à la série Territoires Imaginaires). Sur fond de vraies/fausses cartes, il écrit des chansons sur des lieux utopiques. « You know how it is. Somebody finds a place. Words get round. Everybody moves in. » L’utopie précède l’installation. Le rêve américain est une utopie réelle, qui échappe au contrôle de ses créateurs.
8/Harry Partch There are rides on the highway at Green River (from U.S. Highball : a musical account of Slim’s Transcontinental hobo trip interprété par le Kronos Quartet et la voix de David Barron) (Nonesuch 2003)
En septembre 1941, le compositeur Harry Partch quittait son petit chalet de Carmel en Californie pour se diriger vers Chicago. Il voulait réagir à une situation qui commençait à devenir préoccupante : bien qu’au milieu d’une nature foisonnante, il devenait peu à peu improductif. Il entreprit ce voyage en utilisant des trains de marchandises, comme un hobo (figure emblématique de Kerouac). Cette partition est le compte-rendu musical de cette aventure.
9/A Small Good Thing presents Slim Westerns Saloon Dreams (Leaf 2002)
Slim Westerns, c’est une série de « vignettes » qui captent de façon imaginaire des ambiances américaines. Il y a eu plusieurs volumes (publiés à l’origine par Soleilmoon Recordings, réédités par le soin du label Leaf). A l’époque où la bande-son imaginaire faisait fureur, Mark Sedgwick, Tom Fazzini et Andrew Hulme publie ces petites pièces fines qui explorent une sorte de déjà-vu sonore. La langue anglaise parle d’Americana (objets ou documents appartenant à l’héritage culturel américain dixit mon Robert & Collins). Saloon Dreams, c’est le cow-boy du cliché qui se rend compte qu’il est une icône, un symbole, une mythologie (au sens de Barthes). Il y a un regard critique sur l’imaginaire. Un décalage.
10/Here We Go Magic Everything’s big (Western Vinyl 2008)
Découvert au Botanique il y a peu, le groupe de Luke Temple étonne par son apparente simplicité. Une simplicité qui, écoutée attentivement, révèle une véritable richesse sonore. Everything’s big évoque un monde parfait. Où la grandeur fait office de mesure étalon. On pense aux buildings, aux voitures, aux portions de nourriture, aux kilos en trop, aux limousines (qui commencent à faire leur parade pornographique jusque chez nous).
On a dit de Luke qu’il était un peu comme un Paul Simon sous acide (même si ce n’est pas apparent sur ce morceau). Il mélange les genres, les timbres et sa voix gentiment féminine habille ses mélodies d’une certaine pudeur. Il vous faudra peut-être plusieurs écoutes pour rentrer bien dans le morceau (d’où l’intérêt d’écouter le CD).
11/Rilo Kiley Spectacular views (Saddle Creek 2002)
Enregistré au cœur du Nebraska par l’équipe de la charmante Jenny Lewis, ce Spectacular views est une ode à l’horizontalité des territoires. Ceux qui ont parcourru le pays de l’oncle Sam, ceux qui ont lu On the Road de Kerouac le savent : on a vite le souffle coupé sur les routes américaines. Fermez les yeux et imaginez une route sans fin ! « Indifferent but distanced perfectly projected endlessly it’s so fucking beautiful » comme le crie Jenny à tous ceux qui veulent l’entendre. Le texte rend aussi hommage aux pierres qui attendent, qui témoignent d’une histoire qui s’écrit en millénaires : le temps long des sédiments. On en ressort avec un sentiment de plénitude : « You never knew why you felt so good in the strangest of places ».
Un peu de pop-rock aux chambres d’écoute, cela fait du bien. Votre écoute attentive est recompensée.
12/Magic Markers 7/23 (Drag City Records 2009)
Avant « Balf Quarry », les disques de Magic Markers semblaient toujours avoir été enregistré à l’aide d’un répondeur téléphonique. Ils incarnaient une certaine aile extrême de la musique Low-Fi. C’est qu’entre-temps Elisa Ambrogio a rencontré Ben Chasny, l’homme derrière le légendaire projet néo-folk Six Organs Of Admittance. Ils ont croisé leurs pratiques, leurs mains et Ben lui a dégotté un deal avec le très bon label Drag City. Le résultat est un album au son plus propre (la belle s’est calmée) mais qui dérange encore. Ils étaient invité au festival All Tomorrow’s Parties à Minehead (ce festival qui se passe dans un camp de vacances au bord des plages anglaises), l’édition pour laquelle c’est Sonic Youth qui signait la programmation. Balf Quarry est une petite bourgade dans le Connecticut. Une zone minière.
Prochaines chambres d’écoute
En 2010
Le jeudi 7 juillet: # 29 : Bidonville, l’autre ville (pour accompagner l’exposition du même nom, dans le cadre du festival Dièse à Dijon)
Le mercredi 14 septembre : # 26 : Du doigté/la harpe et l’accordéon au format pop (série Instruments) à Congrès
Le mercredi 16 novembre : # 27 : Green Blue Red/Hommage à Elsworth Kelly (série Arts & Plastiques) avec une mini-conférence
Décembre : # 28 : Yougoslavie, années 90 (pour les 20 ans de l’éclatement de la Yougoslavie- titre provisoire) à l’ULB (série Histoire)


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