Chambre d'écoute # 27 > Tracklist
Du doigté/La harpe et l’accordéon au formet pop (série instruments)
Quelle idée saugrenue d’associer harpe et accordéon dans une même chambre d’écoute ! Tant qu’on y est, pourquoi pas clavecin et harmonica, ou violoncelle et bongo ? Et comment les décliner au format pop ? Telles ont été mes premières réflexions à la lecture du thème proposé par Axel. Mais à l’expérience, le choix s’est avéré très fécond et passionnant. Ces deux instruments ont une connotation assez précise et plutôt antagoniste : la harpe incarne la préciosité et la musique classique tandis que l’accordéon nous renvoie aux musiques folkloriques (pas une seule à travers le monde qui ne l’utilise, de la musette à la cumbia en passant par les musiques tziganes ou klezmer) et aux bals populaires. L’idée a été ici de proposer des musiques dans lesquels ces instruments sont utilisés dans des contextes sonores inhabituels, d’une manière qui fait voler en éclat les stéréotypes qu’ils pourraient véhiculer.
François
Chambre d’écoute # 27 : Tracklist
Proposition d’Axel
1/GusGus Selfoss (Kompakt, 2011)
Sur le tout nouvel album de ce groupe islandais (on a déjà passé des morceaux de ce collectif aux Chambres d’écoute), on trouve des incursions d’accordéon. Pour vous ce soir (et pour éviter les redites), je suis allé voir sur Wikipédia et j’ai appris, entre autres choses, d’où venait leur nom : apparemment il vient d’un film de Fassbinder (Tous les autres s’appellent Ali) où l’on trouve une femme qui prépare du couscous pour son amant. Elle prononce gus gus et pour les membres du groupe, c’est une référence sexuelle. La référence au cinéma s’impose car ce collectif était à la base une association de vidéastes et de cinéastes. Il faudra attendre 1995 pour qu’ils passent à la musique. Après leur troisième album, le bras cinéma de Gus Gus se sépare pour former la boîte de production Celebrator.
Pour la musique de ce groupe, j’ai envie d’inventer un genre (mais peut-être l’étiquette existe-t-elle déjà … peu importe) : la coldtronica ou une musique éléctronique froide. Mais avec GusGus froid peut signifier dansant. Je me pose deux questions à leur égard : dans la tête des créateurs, que se passe-t-il pour qu’ils décident d’intégrer un instrument comme l’accordéon dans des compositions éléctroniques ? Deuxième question : comment font-ils pour être si bons ? Des nappes de synthé, des boucles de basses dont l’intensité augmente jusqu’à vous submerger … des vocals accrocheurs quoique mystérieux… A voir en concert absolument ! A ce stade-ci de votre écoute, vous commencez à vous dire : « mais où est l’accordéon ? » Pas de panique, il arrive.
2/Carol Emanuel Singing sands (Evva, 1995)
Sur le très bel album Tops of Trees, la jeune harpiste (fraîchement diplômée du California Institute of the Arts) reprend des classiques de la scène underground new-yorkaise (Lurie, Zorn, Frisell, etc.) mais en mettant l’harpe à l’honneur. Je vous propose son interprétation du Singing Sands de Guy Klucevsek parcequ’il mélange intimement les deux instruments à l’honneur ce soir : outre la harpe de Carol Emanuel, il y a l’accordéon de Guy Klucevsek et le violon de Mark Feldman. Dans les liner notes, cette belle jeune femme raconte comment elle a toujours été frustrée de devoir jouer les morceaux. Par John Zorn, elle a rencontré tous les compositeurs de cet album auxquels elle a demandé d’écrire pour la harpe.
3/Kimmo Pohjonen Loska (Rockadillo Records, 2001)
Attention ce gars est fou ! Si son disque ne suffisait pas, j’ai eu la chance de le voir (mais aussi et surtout de l’entendre) aux Halles de Schaerbeek il y a plus de 10 ans.
Tous les sons de ce disque sont produits par Kimmo avec sa bouche et son accordéon. Il faut néanmoins ajouter que son comparse Samuli Kosminen les retravaille au sampler. Le résultat est étonnant. L’homme est spectacle. Les sons altérés gardent la mélancolie inhérente à l’instrument.
4/Renata Przemyk Nie Zginiesz(Columbia, 1999)
Découverte lors d’un voyage à Cracovie, je suis très vite tombé sous le charme de la belle Renata. Pour elle l’accordéon est comme une seconde peau, un vêtement (sur son album Tylko Kobieta, elle est uniquement vêtue de son accordéon). En deux voyages, j’avais acheté toute sa discographie. Pour Nie Zginiesz (issu de son album Hormon), sa musique se mélange à de véritables influences new-wave (nous sommes proches de Cure) tout en gardant son côté « europe centrale ». L’accordéon se fait plus discret mais il souligne toute la mélancolie qui se dégage de la musique de Renata. Ecoutez le CD reçu ce soir quelques fois et vous vous surprendrez à chanter avec Renata. Le refrain est lancinant (ce semble avoir été inventé pour l’occasion).
5/Zeena Parkins & Ikue Mori Jezebel (Mego, 2004)
Sur la très pointue écurie Mego (juste avant que la firme autrichienne se rebaptise Editions Mego), on trouve ce CD intriguant Phantom Orchard. Cette musique unique est le fruit de la collaboration entre deux grandes dames de la musique électro-acoustique : Zeena vient de New-York et Ikue de Tokyo (comme son nom le laisse supposer). Alors que Zeena s’occupe des cordes (harpe acoustique et électrique, piano) et autres cordes frappées (du piano ou encore des claviers plus ou moins ancestraux), Ikue se fait l’alchimiste de service en ajoutant çà et là des touches d’électronique. Cet axe (New-York/Tokyo/Vienne) illustre bien la mondialisation en cours dans le domaine des musiques confidentielles : les artistes qui s’adressent à une poignée d’auditeurs communiquent par les voies modernes et s’assurent une plus grande audience. Ce soir, vous faites partie de cette communauté. Jezebel est à la fois délicat et dérangeant. Je vous laisse imaginer dans quelle mesure.
6/Joanna Newsom The Book of Right-on (Drag City, 2004)
Voici une jeune artiste venue de nulle part avec un projet un peu fou : faire un album quasi toute seule autour de son instrument de prédilection (la harpe donc) et le proposer à un label assez rock (via son propre réseau de contact : la belle est amie de Bonnie Prince Billy). La voix peut énerver certains mais le morceau que nous vous proposons ce soir est une petite perle pop. La harpe est utilisée à la fois comme basse et comme harpe : le tout sonne assez folk (impression confirmée par la pochette brodée). Joanna nous fait littéralement pénétrer dans son univers poétique et onirique. Après cet album, elle s’est embarquée dans des projets très ambitieux (et très coûteux) : mêler sa harpe avec un orchestre. Une palette encore plus riche mais une perte dans la profondeur du son.
7/Nancy Elisabeth Coriander (Leaf, 2007)
Cette jeune artiste anglaise (elle aura bientôt 28 ans) œuvre dans le même domaine que Joanna et nous donnait le choix ce soir entre plusieurs possibilités de contributions : on trouve des perles avec de la harpe et d’autres avec de l’accordéon. Le choix fut dur mais on a opté finalement pour cette ballade à l’accordéon car le début est ravageur. L’approche de Nancy est, disons, « champêtre ». Il y a la campagne anglaise en toile de fond, du land art (la BO d’une marche de Richard Long). Coriander est tiré de son premier véritable album Battle & Victory, qui a été acclamé par la critique. Avant cela, elle s’autoproduisait et faisait partie de la scène folk de Wigan, le petit bled du Lancashire d’où elle est originaire. Elle joue différents instruments : voix, guitare, harpe, khim (instrument traditionnel thaïlandais) et a étudié au Liverpool Institute for Performing Arts (rédigé en partie avec l’aide de Wikipédia).
Proposition de François
8/Flying Lotus Clock Catcher (Harp Arrangement) (Warp, 2011)
Flying Lotus pratique un mélange de hip-hop et de musique électronique, qui s’inspire autant des musiques expérimentales que du jazz cosmique de Alice Coltrane et de Sun Ra. Sur son album Cosmogramma (Warp, 2010), il fait appel à la harpiste Rebekah Raff sur plusieurs morceaux (dont le bien nommé « Auntie’s Harp »). Cette collaboration s’inspire directement de la musique d’Alice Coltrane, l’une des rares harpistes de jazz. Clock Catcher est issu d’un album reprenant des versions alternatives des morceaux de Cosmogramma, cette version opérant un dépouillement des arrangements, mettant en valeur la harpe de Rebekah Raff.
9/Morgan Packard Airships Fill the Sky (Anticipate Recordings, 2007)
Morgan Packard s’emploie à intégrer dans sa musique électronique des instruments acoustiques : piano, saxophone et…accordéon. Sur une boucle rythmique électro, c’est tout un monde souterrain qui émerge fait de nappes d’accordéon, de petits bruits étranges, de percussions miniatures.
10/Amon Tobin Horsefish (Ninja Tune, 2007)
Autre habitué de nos programmations, Amon Tobin est l’un des artistes les plus passionnants de la dernière décennie. Avec l’album Foley Room (2007) il s’aventurait du côté de la musique contemporaine et des musiques concrètes, délaissant quelque peu les samples pour privilégier l’utilisation d’instruments réels, dont la harpe. Horsefish débute sur des sons de harpe évoquant le rêve et le merveilleux, puis progressivement le morceau dérive vers des climats plus inquiétants, évoquant par exemple la musique de Bernard Herrmann pour le film Vertigo d’Alfred Hitchcock.
11/Siouxsie & The Banshees Peek-A-Boo (Polydor, 1988)
Voici un morceau qui incarne parfaitement le mariage entre pop et accordéon, notre thème du jour. Fin des années 80, le groupe Siouxsie & the Banshees tourne le dos au punk-rock gothique de ses débuts pour donner à sa musique des accents beaucoup plus pop. Avec son accordéon lancinant et ses cuivres dissonants, Peek-A-Boo (nom donné à un jeux d’enfants) nous fait pénétrer dans une ambiance de cabaret déglingué, prolongeant les expérimentations exotiques faites avec le projet parallèle de Siouxsie, The Creatures, qui intégrait déjà de nombreux instruments s’écartant résolument de l’orthodoxie rock.
12/PJ Harvey Broken Harp (Island Records, 2007)
Artiste aventureuse se remettant sans cesse en question, PJ Harvey a commencé à intégrer une harpe dans sa musique et lors de ses récents concerts, elle se produit avec une « harpe de poche ». La « harpe brisée » du titre évoque tout d’abord bien sûr l’instrument qui accompagne de manière dépouillée la voix nue de PJ Harvey mais aussi de manière plus métaphorique les états d’âme que révèlent les paroles de la chanson : « Please don't reproach me/For, for how empty/My life has become ».
13/Elizabeth Fraser Moses (Rough Trade, 2009)
Liz Fraser est principalement connue pour avoir été la chanteuse du groupe Cocteau Twins, fleuron de la new wave romantique du label 4AD au début des années 80. On la retrouvera aussi au sein de This Mortal Coil (super-groupe monté par Ivo Watts, le patron de 4AD) pour une reprise de Song to the Siren devenue culte. Plus tard, elle sera invitée sur l’album Mezzanine de Massive Attack. Depuis quelques années son timbre de voix si particulier s’est fait plus rare, ne revenant que pour un single isolé, ce beau Moses qui explore des nouveaux territoires musicaux, intégrant un accordéon balkanique conjugué à des rythmes dub.
14/Four Tet Untangle (Domino Records, 2001)
On a déjà fréquemment rencontré Four Tet lors de ces chambres d’écoute, et vu qu’à ma connaissance il est l’un des premiers à avoir intégré régulièrement de la harpe dans la musique électronique, sa présence s’imposait une fois de plus. Untangle est une merveille de minimalisme : un beat électronique, quelques bidouillages et cette harpe lumineuse qui emmène l’auditeur vers des terres inexplorées.
Merci à vous pour votre présence et votre écoute. Rendez-vous prochainement pour de nouvelles aventures sonores et pédagogiques…


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