Agir collectif et culture partagée

lundi, décembre 20, 2010

Chambre d'écoute # 22

Nous sommes une myriade de choses que nous ignorons[1]

Chambre d’écoute #22 : Maîtres et disciples/l’école et ses enjeux au regard de la musique (série Para//èle)

Introduction :
Deuxième partie de la soirée, cette chambre d’écoute entend mettre en musique certains des thèmes qui nous motivent en tant qui fondateurs de l’asbl RED/Laboratoire Pédagogique. Si vous n’étiez pas là au cocktail, procurez-vous vite un papier explicatif. Nous avons besoin de vous, de vos contacts, de vos idées et de votre enthousiasme.
Ce soir, François et moi-même allons vous proposer un parcours musical qui entend d’abord solliciter votre mémoire d’écolier (c’est la classe de Maître François) et ensuite remettre en question ce vécu et le confronter aux défis actuels (c’est la classe de Monsieur Axel).
Merci à Congrès de nous accueillir une fois de plus, merci à François de me prêter main forte. Merci à vous d’être là. Créer une asbl, cela prend du temps : vos CD ont pris un peu de retard. Je vous prie de m’excuser.

Maîtres et élèves : Tracklist

Classe de Maître François
1/ Intro Disque 33t longue durée
En guise d’introduction, une petite madeleine de Proust évoquant ces disques dont les histoires ont égayé nos jeunes années d’école…



2/ Four Tet Parks (Domino)
Kirian Hebden, alias Four Tet, est considéré comme l’un des pionniers du “folktronica” mélange d’instruments acoustiques et d’expérimentation électronique. « Parks » évoque les sorties d’école avec les enfants se précipitant dans les parcs ensoleillés pour se courir après…

3/ Catherine Demongeot Zazie dans le métro (Naïve)
Il s’agit d’un court dialogue tiré du film réalisé par Louis Malle d’après l’œuvre de Raymond Queneau, dans lequel Zazie nous explique les raisons de sa vocation d’institutrice. Savoureux.

4/ Takagi Masakatsu Com March (Karaoke Kalk)
Musicien et vidéaste japonais, Takagi Masakatsu réalise des miniatures musicales poétiques faites de sons délicats, de bruitages et d’éclats de voix. « Come March » nous emmène dans une classe maternelle japonaise, avec ses instruments jouets, ses babillages enfantins et son atmosphère ludique.

5/ Machinefabriek Dansen Met Groene Groenten (Type)
Machinefabriek est le projet du musicien néerlandais Rutger Zuyderveldt, à la production florissante (il sort un nouvel enregistrement tous les mois). Extrait du 45 t « Lendelietjes », ce morceau détourne une cassette de leçon de néerlandais et ses phrases absurdes en charmante ritournelle électronique.

6/ Boards Of Canada Aquarius (Warp)
Groupe composé d’un duo écossais, Boards of Canada conçoit une musique électronique abstraite (peu de chants) et atmosphérique, fortement liée au monde de l’enfance, aux préoccupations écologiques et aux théories mathématiques. Issu de premier album Music Has the Right to Children, Aquarius évoque les leçons de couleurs (« orange ») et de nombres (des suites de chiffres égrenées de manière machinale) sous les rires amusés de bambins.

7/ Laurent Garnier Jeux d'enfants (F Communications)
Pape de l’électronique française, DJ résident de la légendaire Hacienda de Manchester, Laurent Garnier s’est récemment tourné vers des productions plus introspectives, éloignées des impératifs du dancefloor. Le bien nommé « jeux d’enfants » déploie sur une rythmique martiale des sons d’ambiance tirés d’une cour de récréation, pour finir sur une célèbre comptine, à reprendre en chœur…

8/ Rappers Delight Club Hum (2008)
On termine cette sélection avec le résultat réjouissant d’un projet musical réalisé à la Glenallan Elementary School à Silver Spring, où l’on apprend à des enfants de 5 à 12 ans à s’exprimer par le rap et travailler les rythmes, juste après les cours. Les morceaux enregistrés ont été postés sur leur site myspace et ont rapidement rencontré un large succès. Le groupe britannique Go Team ! (très recommandé) les a invités sur leur second album paru en 2008, sur le morceau « Universal Speech ». « I’m rappin’ Let’s goooooo ! »

Classe de Maître Axel
1/Britten The Young Person’s Guide to the Orchestra (Teldec Classic) interprété par le BBC Symphony Orchestra sous la direction de Sir Andrew Davis
Ici aux Chambres d’écoute, on aime bien Britten. Il est déjà apparu dans l’une ou l’autre sélection. Aujourd’hui, c’est une toute autre histoire. Ce morceau est le morceau pédagogique par excellence. Il a été crée pour accompagner un film qui présente les différents instruments de musique composant l’orchestre. Pour ce but pédagogique noble, Britten reprend un thème et une fugue de Purcell issus d’Abdelazar, ou la revanche du Maure. Les 13 variations représentent chaque fois un instrument (ou groupe d’instruments). Dans la fugue, les instruments font leurs entrées dans le même ordre que dans les variations. Nous n’aurons pas, malheureusement, la fin (sauf ceux qui ont le CD). Cette pièce illustre à merveille le ton démocratique que Britten donne à son travail : l’individuel prime sur le collectif, chaque joueur est comme un soliste… On aimerait voir appliquer ces principes dans nos classes.

2/Miwon Vertizontal (City-Centre-Offices)
Pour les membres fondateurs de RED/Laboratoire Pédagogique (sorry j’aime cette expression un peu pompeuse), ce morceau a valeur de manifeste. En effet, un de nos principaux axiomes de travail est basé sur la notion de « transversalité ». Dans la classe, le professeur est sommé de choisir entre la relation verticale (« l’autorité du maître prime ») et la relation horizontale (« le professeur comme copain »). Ces deux impératifs mènent à une impasse. La relation transversale (vertizontale selon Miwon) est une position qui renvoie dos-à-dos ces deux approches. Le travail sur les rôles dans un cadre précisément balisé permet une véritable écoute et prise en considération de l’élève. L’élève est une intelligence en devenir face à l’intelligence elle-même en devenir du professeur. Ce dernier est là pour assurer le cadre et les apprentissages. La pure verticalité a des relents de fondamentalisme, la pure horizontalité d’anarchisme. Ce concept de transversalité dans son usage institutionnel est un emprunt au grand Félix Guattari (RIP).

3/Beatkitten Bored ? (Swim)
Ce groupe est un mystère sur le mystérieux label de Colin Newman (membre du très influent groupe des années 80 Wire, accessoirement producteur de Minimal Compact et mari de Malka Spiegel, membre du même Minimal Compact). Il ne parle pas d’école mais en posant la question de l’ennui, je me sens justifié à vous le proposer ce soir. La jeune femme qui parle semble regarder par la fenêtre (pourrait-ce être la fenêtre d’un local scolaire ?) et décrit le monde tel qu’elle le voit. Une façon comme une autre de tuer le temps. Les élèves s’ennuient ? Pas si sûr ! Les élèves ressentent mal l’école quand elle est mortifère, en ferrant leurs désirs et leurs corps. L’école peut s’envisager d’une autre façon : comme un espace d’intervention pour ses usagers. Des actions ponctuelles intra et extra muros rendent l’école attachante. Quand les usagers (profs, élèves, éducateurs, personnel d’entretien, …) sont invités à participer, à intervenir, des liens se créent, des passerelles se font, du sens circule. On s’ennuie moins quand on est acteur de sa propre formation. Wim Delvoye dit : « mieux vaut être le virus que de tomber malade ». Alain Badiou : « ce n’est pas parce qu’on vitupère contre une institution qu’on a cessé de l’aimer ». Il y a un véritable travail à faire pour rendre l’école plus excitante et s’émanciper du joug institutionnel.

4/Victor Bermon Stacked notebooks (Hefty Records)
Au terme de ses études, le risque pour un élève est de voir son travail comme une pile de cahiers qu’il a mis douze ans à remplir patiemment pour pouvoir les brûler aujourd’hui. La solution est de travailler non pas à remplir des cahiers mais à collecter des traces. Le philosophe Michel Foucault (une de nos grandes références) a un mot pour ça qu’il emprunte à Sénèque : les hypomnemata ou supports de la mémoire. Des traces collectées patiemment, pour leur valeur sentimentale et heuristique[2]. Rassemblées dans un carnet, elles permettent de faire sens après-coup. Un travail de réécriture, de recollection. Des fragments de sens, loin des cahiers que la célèbre comptine nous invite à brûler.

5/Radiant Idiot Revenge of the Phoney Youth (Vertical Form)
J’adore le nom de ce groupe et de ce morceau. Tous deux s’appliquent si bien à notre propos de ce soir. L’idiot radieux, est-ce l’élève ou le prof ? Et cette revanche de la jeunesse fausse, simulée, poseuse, factice (autant de traductions que j’emprunte à mon Robert & Collins), comment l’interpréter ? On dit beaucoup de mal de nos jeunes dans la presse et dans une certaine littérature réactionnaire. Prenons le mot « Factice ». Qui est factice ? Qui accuse ? La facticité menace chacun d’entre nous à chaque étape de la vie. L’idiot radieux, c’est aussi une autre façon de dire que le bonheur n’est pas toujours là où on le croit. Le jeune qu’on accuse à tort, il se venge, ça s’est sûr !

6/Hanne Hukkelberg Seventeen (Nettwerk)
On parlait de jeunesse factice et, sous des airs de gentille chanson pop, ce morceau aborde un sujet très sérieux : une certaine jeunesse dorée qui, à défaut de briller sur les bancs de l’école, choisit la voie de la reconnaissance facile. Le jeune devient alors l’objet d’un maître. Il devient le « king of cash », « fed on champagne ». Pour Hanne Hukkelberg, il est juste une marionnette qui s’ignore. Hanne Hukkelberg vient de Norvège et son groupe use d’instruments proches des Readymades de Marcel Duchamp : une roue de vélo, un four et un frigo.

8/Mi And l’Au Study (Young God Records)
Un autre groupe que nous avons déjà entendu aux chambres d’écoute. Rappelez-vous : ce disque a été enregistré dans un petit chalet enneigé de Finlande, avant d’être mixé à New-York pour finalement être accueillies sur le label du grand Michael Gira. Study nous invite à surfer sur la vague de la connaissance. Ne pas oublier ce qui a été fait, pressentir ce qui arrive, sortir de sa cachette : un hymne à l’école. Au final, Mi And L’Au nous enjoigne de « Réveiller demain ! ».
Le nom du label -Young God- (jeune dieu) est aussi une invitation à chérir notre jeunesse.

9/Klaus & Kinski Mama, no quiero ir al colegio (Jabalina Musica)
Au pays de la musique pop espagnole, Juan Sanchez est mon maître. Il est l’homme qui fait danser la Plaza d’Altea depuis 20 ans et je voudrais lui rendre un hommage. C’est lui qui m’a conseillé ce CD cet été. Originaire de Murcia, Klaus & Kinski est un duo qui fait penser à Jeanette (rappellez-vous Porque te vas, la musique du film Cria cuervos) et à Cathy Claret (Loli-lolita dans les années 80). Cette ballade pop nous fait partager les affres de celui qui doit aller à l’école. Une jeune fille ne veut pas grandir, pas travailler, pas mourir (quel raccourci sémantique étonnant !) Marina lui prête sa voix suave. Et moi, j’ai envie de la contredire : rester à la maison et dormir, c’est un peu mourir aussi.


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Prochaine chambre d’écoute à Congrès : le jeudi 16 décembre 2010 de 19 h à minuit : 10 x 20 en 2010/Dj Culture : un hommage des chambres d’écoute au dancefloor

Finalement, la dixième chambre d’écoute rencontre la vingtième (10x20 en 2010). C’est la chambre d’écoute spéciale Dancefloor. 5 DJ’s passent les 10 morceaux qu’ils préfèrent pour danser. Les notices seront projetées. Vous pourrez danser en lisant (ou vice versa). 5 heures de musique en continu pour une afterwork party façon chambre d’écoute. François Dubuisson, Jacques de Neuville, Maya et un invité surprise (plus moi) ont déjà répondu présent. Plus d’infos très prochainement…

Dorénavant, les chambres d’écoute seront une émanation enthousiaste de RED/Laboratoire Pédagogique… Merci merci
[1] J’emprunte cette belle expression à D.H. Lawrence dans son traité sur l’éducation « Eduquer le peuple » in De la rébellion à la réaction, Ed. Anatolia, 2004, p. 57
[2] Pas de panique, j’ai vérifié pour vous la définition de ce mot au dictionnaire. Vous n’aurez pas à demander à votre voisin ou à faire semblant : heuristique : qui sert à la découverte.