Le Transport des voix ou l’absence conjurée
Tout d’abord, bienvenue et merci d’être là. Ce soir, vous ne devez pas obligatoirement éteindre vos GSM. Ils peuvent sonner, vibrer, vous pouvez décrocher. Nous célébrons l’objet et ses manifestations, toutes. L’objet nous rend service, nous sauve, nous dérange, nous surveille. Il a beaucoup évolué. Il est technologique. Il change de génération tous les ans.
Nous vous proposons un voyage temporel (très électronique, vous verrez, comme un écho de l’objet en soi) à travers le dispositif téléphonique (formé de deux appareils en communication et d’une kyrielle de services annexes). Merci à Kremi (la charmante responsable de la buvette), à Arnaud (de Congrès) et à François. A vous !
Tracklist :
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1/ Global Communication 0 54 (Dedicated, 1994)
Avant la mainmise totale d’Internet sur nos consciences et nos temporalités, un groupe révolutionnaire (au nom prémonitoire) mettait en scène cette communication entre les personnes. Pour souligner le caractère global, le duo fait appel à Babel ou la multiplicité des langues humaines. Le logo du groupe mêle habilement le G et le C en une oreille-symbole et pointe le fond du problème : l’écoute. Les auditeurs de ce disque sans titres de chansons (« Use your imagination ! » disaient-ils) étaient invités à communiquer leurs émotions par courrier. En 2011, tout le monde communique ses émotions en temps réel : joie du Web 2.0
Faites-moi plaisir : écrivez-moi une vraie lettre de soutien à l’adresse suivante : Axel Pleeck, 63 rue Alfred Stevens 1020 Bruxelles…
2/ Poulenc-Cocteau La Voix humaine (Julia Migenes/Orchestre National de France dirigé par Georges Prêtre) (Erato/Radio France, 1991)
Sur un texte de Jean Cocteau de 1932 qui met en scène une femme abandonnée par son amant auquel elle téléphone pendant trois quarts d’heure, Francis Poulenc a crée une musique pour orchestre restreint qui ouvre l’acte (unique) par une sonnerie du téléphone (confiée au xylophone) et reflète les émotions succesives de ce long monologue. La Voix humaine fut d’abord jouée à la Piccola Scala de Milan, puis à New-York et Edimbourg. La création française eut lieu le 6 février 1959, dans une mise en scène de Cocteau. C’est un extrait. Je coupe au moment où elle prend un médoc (cela me semble une bonne transition avec notre époque).
3/ Barbara Morgenstern The Operator (Monika Enterprise, 2006)
A l’époque de « La Voix Humaine », les appels téléphoniques transitaient encore par les bons soins de l’opérateur. C’est cette fonction-là que j’entends honorer en faisant appel à la patte électronique de Barbara. Nous avons déjà fait appel à elle. Rappelez-vous, elle officie de Berlin, via le label essentiellement féminin Monika Entreprise. Sous la férule de Gudrun Gut (qui est passée dans ces murs au tout début du projet Congrès), Monika Entreprise trace sa voie entre pop et électro, tout en finesse.
L’opérateur est celui qui assure le lien entre les voix des personnes. Il switche des fiches, connectant et déconnectant, au gré des demandes. A l’époque, un n° de téléphone comportait un indice de lieu… On est loin de tout ça et, en même temps, cela fait encore partie de notre imaginaire collectif…
5/ Faultline Partyline Honey (The Leaf Label, 1999)
Sur le très bon label Leaf (un de mes préférés depuis longtemps), un morceau de Faultline (le nom du projet de David Kosten) qui parle des usages sexuels du téléphone. Toutes les technologies de la communication ont intégré cette dimension libidinale et très rentable. Une « partyline honey » est une personne qui, en échange d’une rémunération, donnera du plaisir oral à une autre personne. On a connu le 3615 Eva, on connaît les webcams, il y a aussi eu les téléphones roses. Sordidement platoniques, ces relations sont ici ramenées à leurs aspects aliénants : « hey girl, what’s your name ? » et la fille de répondre : « One ! ».
6/ Shit Disco The Answering Machine (DFA, 2010)
Sacré « meilleur album électronique » par le quotidien anglais The Guardian, Shit Disco semble être un projet adoubé par James Murphy (membre du LCD Soundsystem et patron du label DFA). Aux commandes un certain Marcus Lambkin. L’influence de Kraftwerk est manifeste (cfr. Infra). Le répondeur fait partie intégrante du dispositif téléphonique : il assure une couverture à nos absences. Aujourd’hui, à l’heure de la portabilité, on parle de boîte vocale ou de messagerie. Conjurer l’absence qu’on vous disait dans l’invitation… La jeune femme qui parle ici sait que le répondeur joue parfois au filtre ! « You got to come and talk to me ! »)
7/ Soulo 24 hours on the phone (Plug Research, 2001)
A l’époque de mes 15-20 ans (c’est-à-dire avant Internet, le GSM et autre Facebook), j’aimais rester longtemps au téléphone. On parlait avec ses amis, on se racontait des trucs sans importance (mais qui nous semblaient fondamentales), on prenait le combiné sur le palier pour éviter les oreilles indiscrètes, on prenait rendez-vous (un rendez-vous qu’il n’était plus possible d’annuler)… C’est cet âge d’or que Soulo (duo californien composé de Nate Flanigan et Shawn King) entend célébrer (c’est du moins mon interprétation). 24 heures on the phone, c’est un rêve… C’est la vie vécue et écoutée par l’Autre… Cet album est produit par John Tejada, une pointure de la musique électronique…
8/ Mateo and Matos Got a message (Glasgow Underground, 1999)
John « Roc » Mateo et Eddie « E-Z » Matos viennent de New-York et font de la House depuis la fin des années 80. Leurs maîtres ont pour noms : Shep Petibone et Tony Humphries. Leurs disques et productions ont ce son caractéristique des dancefloors de la côte est : pas trop rapide, influencé par le disco. Un son qui transpire. Vers la fin des années 90, ils trouvent une maison de disque de l’autre côté de l’Atlantique : le très bon label Glasgow Underground. Got a message parle laconiquement d’un message, ce fameux message que l’on voudrait envoyer à l’âme sœur recontrée sur la piste. Est-il compréhensible ce message ? A-t-on bien noté le numéro de téléphone ? Sinon, ce sera une relation sans lendemain. La boule à facettes, cela rappelle de bons souvenirs à ceux qui ont bravés la neige pour venir danser avec nous lors de notre chambre d’écoute de décembre.
>>>>>>>>>>Vous avez un nouveau message de François
1/ Laurie Anderson O Superman (Edit) (Warner, 1981)
Inspiré d’un opéra de Massenet (Le Cid), ce célèbre morceau a remporté un succès inattendu en 1981 (n° 2 dans les charts britanniques !), compte tenu de son côté franchement expérimental : boucle vocale minimaliste, voix trafiquée au vocoder, paroles obscures. La chanson consiste principalement en un mystérieux dialogue par répondeur téléphonique interposé, entre Laurie et sa mère.
2/ Beastie Boys B-Boys Makin' With The Freak Freak (Intro) (Capitol Records, Grand Royal - 1994)
Une autre histoire de répondeur. Les Beastie Boys ouvrent ce morceau en samplant un message téléphonique adressé à Adam (Horowitz, l’un des membres du groupe) par l’une de ses rencontres, manifestement française. Curieusement, cette intro a été supprimée des exemplaires édités aux Etats-Unis, par crainte semble-t-il de recours de la personne concernée qui n’aurait pas apprécié voir son message intégré à l’album des Beastie Boys… On reparlera un peu plus loin de cette petite intro…
3/ Kraftwerk The Telephone Call (Instrumental Edit) (Kling Klang 1986)
Kraftwerk est l’un des groupes fondamentaux dans l’évolution de la musique électronique et demeure aujourd’hui une référence majeure. Ils ont toujours eu une fascination pour les objets technologiques, qu’ils ont fréquemment intégrés dans les thématiques et les sonorités de leurs morceaux (robot, ordinateur, calculatrice,…). Ils jouent ici avec toute la palette des sons liés à l’univers des téléphones, et soulignent la proximité mais aussi la distance que crée l’usage des télécommunications.
4/ Dimitri From Paris Attente Musicale (Yellow Productions, 1996)
Le téléphone, c’est aussi les musiques que l’on vous impose lorsque l’on vous met en attente de votre correspondant. Dimitri from Paris s’en amuse en parsemant son premier album Sacrebleu d’interludes musicaux évoquant la musique lounge des années 60.
5/ The Penguin Cafe Orchestra Telephone and Rubber Band (Virgin, 1981) (Type, 2006)
The Penguin Cafe Orchestra a été fondé dans les années 70 par Simon Jeffes, en vue de dépasser les canons des musiques classique et rock et développer une approche plus libre et expérimentale, inspirée des musiques traditionnelles et empreinte de minimalisme. « Telephone and Rubber Band » est composé d’une boucle de tonalité de téléphone, enregistrée par Simon Jeffes sur son répondeur, sur laquelle est posée une mélodie folk guitare/violon, marquant un contraste modernité/tradition.
6/ Mogwai Tracy (Chemikal Underground, 1997) / Throbbing Gristle Death Threats (Industrial Records, 1978)
Groupe écossais, Mogwai est l’un des principaux représentants du courant appelé « post-rock », qui se caractérise par de longues plages le plus souvent instrumentales, conjuguant guitares atmosphériques, explosions soniques et expérimentations électroniques. Tiré de leur premier album Young Team, le magnifique « Tracy » intègre au début et à la fin du morceau des conversations téléphoniques entre certains membres du groupe, un employé du label (1ère conversation) et le manager (2e conversation), qui consistent en des plaisanteries faites à propos de prétendues bagarres au sein du studio d’enregistrement. Au milieu du morceau, est intercalé « Death Treats » du groupe Throbbing Gristle. Comme son nom l’indique, ce court morceau reproduit des messages téléphoniques de menace reçus par le groupe, dont la musique radicale, rencontre entre le bruitisme rock, l’agitprop et l’expérimentation électronique, et les concerts provocateurs faisaient scandale.
7/ Death In Vegas Opium Shuffle (Concrete, 1997)
Où l’on retrouve le message téléphonique de Stéphanie et Violaine (voir morceau n° 2), samplé sur ce morceau tiré du premier album de Death in Vegas, aux sonorités dub et électro-rock. Par la suite, le groupe explorera des paysages sonores plus sombres.
8/ Hexstatic Communication Breakdown (Ninja Tune, 2000)
Hébergé par le célèbre label Ninja Tune, le groupe Hexstatic mêle étroitement musique et vidéo, les deux étant conçus de manière intégrée (chaque morceau est accompagné d’une vidéo). Avec « Communication Breakdown », ils signent un morceau manifestement inspiré du « Telephone Call » de Kraftwerk, avec son style electro et ses multiples collages sonores, évoquant toutes les formes actuelles de communication, du téléphone à Internet, en passant par le fax.
Prochaines activités de RED/Laboratoire Pédagogique
Les chambres d’écoute à Congrès
Le mercredi 16 mars 2011 : # 24 : Abstract Hip Hop/La rhétorique du hip hop, la grammaire de l'electronica (série Versus)
Le mercredi 11 mai 2011 : # 25 : New Weird America/Les USA, un territoire qui fait à nouveau rêver ? (série Territoires imaginaires)
Le mercredi 14 septembre 2011 : # 26 : Du doigté/La harpe et l'accordéon au format pop (série Instruments)
Le mercredi 16 novembre 2011 : # 27 : Green Blue Red/Hommage à Elsworth Kelly (série Arts & Plastiques) avec une mini-conférence
Les cours modestes (lieux à confirmer)
Le cours modeste de musique ou d’art est une brève leçon préparée par un non-spécialiste. Un amateur donne des suites plus académiques (en effet, il prépare une mini-conférence) à un intérêt qu’il a. Un cadre est proposé pour accueillir ses recherches : un public. Un temps d’écoute ou de vision est prévu pour donner corps à ce cours en gestation. Enfin, la participation à un concert ou une exposition (en groupe ou séparément) viennent « achever » la formation. La participation est fixée à 15 € et comprend une coupe de cava (le concert ou l’exposition ne sont pas compris). Lieu des cours : à convenir.
Cours modeste sur Luc Tuymans (en prélude à l’exposition à Bozar du 12 février au 8 mai 2011). La date du cours modeste : le mardi 8 février à 19h. C’est le premier ! D’autres sont prévus…voir sur notre blog :
www.redlabopedagogique.blogspot.com