Chambre d'écoute # 14 : Tracklisting
Installez-vous bien ! Je voulais vous remercier, une fois de plus, d’être là ce soir. Le train comme objet sonore et source d’inspiration : si le train possède ces attributs, c’est parce qu’il participe à notre imaginaire de toute une série de façons. Je vous invite à lire les quelques lignes qui suivent le tracklisting : ce sont des pistes pour prolonger ce moment. Nous partons pour une cinquantaine de minutes de musique. Ensuite, le buffet concocté par Le Tartisan. Les photos sont d’Annick Laboureur, proche collaboratrice du Centre Scolaire de Ma Campagne (où elle enseigne notamment la photographie). Elle est présente ce soir et je la remercie vivement. Merci aussi à Arnaud de Congrès pour son temps, son enthousiasme et sa disponibilité. Merci à Henri pour la dimension culturelle de son engagement politique.
Merci, enfin, à Ingrid pour son soutien…
Chambre d'écoute #14 : Tracklisting
Herbert Distel La Stazione (HatHut)
On parlait de la gare de Milan ! Et bien Herbert Distel nous y emmène justement avec son morceau La Stazione. Des bruits de trains sont mélangés avec des pas et des annonces dans les haut-parleurs de la gare. Les sons sont enregistrés, puis travaillés jusqu’à devenir méconnaissables. Ce travail est un écho sonore qui renvoie à un opéra de Mario Peragallo (La Collina) où certaines personnalités du monde de l’art étaient célébrées. Herbert Distel est lui-même sculpteur et activiste dans la lignée de Fluxus. Nous avons déjà écouté Distel lors de la quatrième chambre d’écoute (consacrée à l’Art Sonore) avec son mythique Die Reise (un voyage en train entre Berne et Zurich) mais je n’ai pas résisté au clin d’œil (écouter La Stazione dans une gare).
Steve Reich Different trains (Black Box)
Dans ce quatuor pour cordes et enregistreur, Reich part de la voix humaine comme amorce. Sur cette base, il viendra greffer de nombreux souvenirs d’enfance liés aux trajets qu’il devait faire entre ses deux parents divorcés. Entre son père et sa mère, des trains, avec Virginia, la gouvernante. Les autres mouvements de cet opus explorent le thème des survivants de la shoah en mêlant les différentes trames. Cette interprétation est l’œuvre du Duke Quartet. Ce morceau est une proposition de François Dubuisson, qui n’est pas loin…
Stephen Vitiello Listening to Donald Judd (Sub Rosa)
Ceux qui apprécient l’artiste (Donald Judd) savent sans doute qu’il a pris possession d’un lieu au Texas (à Marfa) pour créer un espace à sa mesure. De son côté, le compositeur Stephen Vitiello a installé, dans le vaste entrepôt, son matériel pour capter ce que, faute de mieux, on nommera « l’esprit des lieux » (Guy Marc Hinant - le boss de Sub Rosa parle lui de « contenance sonore »). A Marfa, nous dit Vitiello, le calme est juste interrompu de temps en temps par les trains qui passent : « I was there to somehow record the elusive Marfa lights that appears almost nightly in the sky (…) Sounds were captured in and around the Donald Judd installations at Chinati, in a glider, in fields of grasshoppers and along some unknown street ».
Ulrich Schnauss Passing by (City-Centre-Offices)
Autre sonorité, autre instantané : le train qui passe au loin. On ne sait rien de lui : ni sa destination, ni le melting pot qu’il contient. Et pourtant, il nous fait rêver. C’est aussi le train qui, en passant, rythme notre quotidien.
Ulrich Schnauss est célèbre (et apprécié) pour avoir réussi le mélange assez improbable entre la musique électronique et la musique pop sombre anglo-saxonne.
Ce disque est paru en 2001 sur le label CCO qui était un de nos favoris. Un morceau long, qui installe, peu à peu, une atmosphère de « grandes étendues » traversées par un chemin de fer (une belle expression en soi).
Mouse On Mars Omnibuzz (Too Pure)
En 1995, Mouse On Mars (le duo formé par Andi Toma et Jan St. Werner) achevait de (re)placer Cologne sur la mappemonde Electro (en suivant les pas du défunt Stockhausen). Sur l’album Iaora Tahiti, qui célèbre a sa façon la déterritorialisation, le duo présente Omnibuzz : sympathique mot valise qui condense la rythmique tranquille du train « qui s’arrête partout » et le buzz, ce petit bruit qui fait parler de lui.
Maas Eurostar (Soma)
Soma, c’est un peu le label qui a placé Glasgow sur la planète Techno. La ville possède vraiment une ambiance particulière avec l’architecture de Charles Rennie Macintosh et son petit metro orange qui fait une boucle dans la ville (et que les habitants surnomment le « clockwork orange »). Le Nord (de l’Angleterre) a une âme. Ewan Pearson s’attaque lui au mythique Eurostar, ce train qui réduit les distances entre les grandes villes européennes. Avec la distance, on perd aussi de plus en plus le « temps » du voyage et le changement de territoire. Eurostar, avec ses téléphones portables qui gênent la lecture, avec son Wi-fi qui sabote nos neurones. La gare devient un shopping centre et le passage de la frontière fait penser à 9/11 (nine/eleven). Parfois, on en vient à préférer son petit train P (pour heure de pointe) à destination de Dendermonde, car lui s’arrête à la gare de Bockstael…
Chris Watson Ouleja Mine (Touch)
Cet ancien membre du très influent Cabaret Voltaire (Sheffield années 80) est devenu maître dans l’art de capturer des sons sur le terrain. Ici, nous sommes à Mexico, ou plutôt, dans une ville-gare abandonnée dans la périphérie de Mexico, le 13 avril 2005. Watson nous invite à pousser le bouton « pause et à écouter le battement du diesel et les tonalités de poudre bleue qui disparaissent dans le canyon ».
Telepopmuzik Last train to whenever (Catalogue)
Il n’y a pas si longtemps, Bristol redistribuait les cartes de la musique pop en inventant le trip-hop, cette musique qui mélangeait habilement les codes et proposait une musique souvent lente, toujours hypnotique. Le mouvement n’allait pas tarder à faire des petits hors des frontières de la cité balnéaire anglaise. Telepopmuzik est la réponse française à Massive Attack et autre Tricky. Ce morceau a été choisi pour son titre qui emprunte à la mythologie du « dernier train qui ne va nulle part ».
Lee « Scratch » Perry & Dub Syndicate Train to Doomsville (On-U Sound)
Sur le mythique label d’Adrain Sherwood, le pape de l’echo (et véritable alchimiste en studio) rencontre les apôtres de la musique dub pour un morceau qui commence avec le démarrage d’un train pour l’enfer. Tout l’imaginaire du voyage est contenu dans ces bruits métalliques d’un voyage que Lee annonce « sans retour ».
Terrestrial Tones Future Train (Paw Tracks)
Voici un morceau plutôt abstrait. La rythmique de machine à vapeur s’installe lentement. Le train du futur est là. Nous avons l’habitude de voyager à 300 km à l’heure. Eric Copeland (de Black Dice – un combo américain néo-bruitiste) et Dave Portner (de Animal Collective – un autre combo américain néo-folk) nous démontent gentiment ce mythe-là. Leur train du futur laisse un petit goût de folie dans la tête.
Neven BXL Central (Different)
Neven est une formation mythique belge. On a souvent parlé d’eux comme du premier groupe « trip-hop » de notre petit pays. Ils ont participé au projet « Bruxelles nous appartient » (lors des cérémonies de Bruxelles 2000) qui se présente comme une sorte de mémoire auditive de Bruxelles. Bxl Central est, pour nous, une façon de revenir à la maison. Merci à mon ami Yves Cardoen de m’avoir proposé ce morceau.
Petite mythologie de l’objet-train
En guise de postface à notre soirée, une petite justification de mon choix de traiter du train comme d’un objet. Je me base ici sur le texte de Roland Barthes Le mythe aujourd’hui dans lequel il définit le mythe comme « une parole ». Partant de ce constat, il ajoute : « On entendra donc ici, désormais, par langage, discours, parole, etc., toute unité ou toute synthèse significative, qu’elle soit verbale ou visuelle : une photographie sera pour nous une parole au même titre qu’un article de journal ; les objets eux-mêmes pourront devenir parole, s’ils signifient quelque chose… »
Le train est un objet quand il devient une parole. Le « train » est à lui seul un faisceau d’histoires qui démarrent toutes seules dans notre esprit, pour peu qu’on l’incite à partir dans ce sens.
Avec vous, ce soir, j’ai tenté d’explorer certains de ces mythes liés à l’objet-train. Voici exposés pêle-mêle quelques-uns de ces mythes :
La gare comme zone de séparation entre deux amants (voir le magnifique film britannique Brief Encounter)
Le compartiment comme zone d’accélérateur de désir (sans parler du train-couchettes ou du cama-coche espagnol)
Le train comme synonyme d’ailleurs
Le train comme son (dans toute sa matérialité)
Le train sans conducteur comme métaphore d’une société qui ne sait pas où elle va
Le train comme lien entre des zones coupées du monde
Le train comme marqueur de distinctions sociales ( la première classe et la deuxième, le billet business dans les nouveaux trains à grande vitesse)
Le train comme conquête sur le monde sauvage (la conquête de l’ouest)
Le train comme rythme quotidien/mortifère (le métro-boulot-dodo)
Le train en retard comme excuse universelle
La dichotomie entre l’express et l’omnibus
Le train mythique (l’Orient Express passe par chez nous en mars : vous pourrez monter à bord pour quelques 3000 euros)
Le service intérieur et les relations internationales (comme des ministères)
« être sur des rails » comme synonyme du déterminisme
« C’est que le mythe est une parole volée et rendue. Seulement la parole que l’on rapporte n’est plus tout à fait celle qu’on a dérobée : en la rapportant, on ne l’a pas exactement remise à sa place. »
En guise de prolongements
Une chambre d’écoute est toujours suivie de prolongements. Rien de tel qu’une petite sortie culturelle pour achever la conversation entamée ici ce soir. Quatre propositions d’activités qui mêlent art et train. Pour chacune de ces activités, un mail sera envoyé à tous les participants de la chambre d’écoute. Un rendez-vous sera pris et nous irons (même à deux !)
A deux gare d’ici, D’Or, l’installation de Kris Verdonck à l’extérieur des Brigittines : une installation qui mêle lumière et référence à Walter Benjamin (Angelus Novus). Elle démarre cette semaine.
Un voyage en train vers Liège pour visiter l’expo Les navetteurs du graveur Thierry Lenoir (lire le très bel article d’Isabelle Masson que je vous mets en annexe, paru dans le Victoire de la semaine passée). Au Placard à Balais, 9/11 rue des Mineurs. Attention : ouvert du lundi au vendredi de 10 à 16 h jusqu’au 13 février.
Un voyage en train vers Hasselt en direction de la Galerie Z33. Cet immense espace dédié à l’art contemporain est installé dans un ancien béguinage. L’endroit est magnifique. Nous sommes allés en décembre. Un petit lunch à la Villa Kakkelbont est aussi envisageable.
Un voyage en train suivi d’un parcours en tram le long de la Vlaamse Kust, c’est bientôt le temps de la triennale Beaufort : un parcours d’artiste le long de la côte ou des grandes pointures de l’art contemporain propose des œuvres (souvent crées pour le site). Je vous propose d’y aller ensemble, en train, pour achever de briser la glace. Cette manifestation en est, cette année, à sa troisième édition. Dates à confirmer…
Chambres d’écoute à venir
#10 DJ Culture : 5X10 (cinq DJ passent les dix morceaux qu’ils préfèrent pour danser). Toujours retardée mais elle arrive…(Hors-série)
#15 Masculin/féminin : gender studies : musique et identité sexuelle (série para//èle).
#16 Noise Vs. Silence : une double chambre d’écoute (avec tirage au sort pour savoir si on commence avec le bruit ou le silence) (série Versus)
#17 H2O les qualités sonores de l’or bleu (série les 4 éléments). Avec un bar à eaux minérales comme au Japon.
#18 Musique et politique (série Para//èle). Avec des politique en vue des élections régionales et européennes de juin.
#18 New Weird America (Série Territoires Imaginaires). Les USA, un territoire qui fait à nouveau rêver ?
#19 Pour continuer en français, tapez 1. Le téléphone et ses détournements dans la musique (série Objets).
#20 Du doigté : la harpe et l’accordéon au format pop (série Instruments)
Ethique et statistiques
Les chambres d’écoute sont réalisées 100 % sans téléchargements illégaux. La majorité des musiques de ce soir sont achetées ou louées à la médiathèque. Les chambres d’écoute ne génèrent aucun profit et sont très chronophages pour les organisateurs. La TECC (la taxe pour l’écoute collective et contextuelle) sert à financer les divers petits frais.
En 2008, j’ai consigné scrupuleusement tous mes achats et locations de CD dans un petit carnet Moleskine : J’aurai dépensé 661,09 euros en musique (sans compter les CD offerts, une manière de manipuler les statistiques). Par mois, cela donne 55,09 euros. Par jour, 1,81 euros.
Mon engagement pour 2009 est de réduire ces dépenses à 1 euro par jour tout en maintenant la « qualité » des chambres d’écoute. Freiner la consommation et revisiter sa discothèque… Bonne année.
NB : le carnet Moleskine est consultable…
Parlez des chambres d’écoute autour de vous et manifestez-vous si la participation vous tente…
Merci merci merci
Axel
------------------------------------------------------------------------------------------à découper
Vous n’avez pas reçu le CD souvenir. Je m’engage à vous le livrer personnellement à vélo (O gr/CO2) pour autant que vous habitiez dans les limites de la Région de Bruxelles-Capitale. Merci de remplir ce talon et de me le remettre.
Nom/___________________________ Prénom/____________________________
Adresse/___________________________________________________________________________________________________________________________________
Email/_________________________________
Central Station/le train comme objet sonore et source d’inspiration
Une chambre d’écoute/table d’hôtes proposée par Axel Pleeck (et le Tartisan) à Congrès le 21 janvier 2009


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