Agir collectif et culture partagée

jeudi, août 26, 2010

Messe pour le temps présent/Musiques Vs. Religions (série Versus)








Une chambre d’écoute-drink proposée par Axel et François à Congrès le 9 juin 2010


« Il faut aussi se souvenir de celui qui oublie où mène le chemin »
Héraclite

Chambre d’écoute # 19 « Messe pour le temps présent/musiques vs. religions » (Série Versus)

Merci d’être là ce soir à nos côtés pour cette « messe ». Congrès, qui nous accueille une fois de plus, n’est pas un temple mais plutôt un symbole futuriste de la mobilité et de la vitesse. Nous ne sommes pas des évangélistes, juste des « passeurs de sons ».
Ce soir, vous allez écouter une sélection de morceaux qui tournent autour des rapports entre la musique et la religion. Il ne s’agira pas, à proprement parler, de musiques religieuses (le sujet d’autres chambres d’écoute) mais d’artistes qui ont choisis des références religieuses pour leurs musiques. Pourquoi ? Nous ne savons pas. Alors, nous allons interpréter (les chambres d’écoute font la part belle à l’interprétation et à la mise en contexte, parfois à contre-courant de l’intention des musiciens eux-mêmes). La série versus explore les tensions entre deux mondes.
Pour multiplier les points de vue, nous avons crée un schisme : nous commencerons par la proposition de François, pour enchaîner par la mienne.

Je ne voudrais pas commencer cette écoute sans un petit mot sur mon propre rapport à la religion (les lignes qui suivent et le mini-cours n’engagent que moi).
Il y a dix ans, je suis devenu professeur de religion. Un choix dicté par la nécessité de changer de travail rapidement. La fibre pédagogique est venue très vite, rassurez-vous !
J’ai grandi dans un environnement areligieux, libre de croire ce que je voulais. J’ai entamé des études de philosophie à l’ULB. Et là, j’ai posé un regard critique sur mon « athéisme ».
La première chose qui a affaiblit les fondations de cet athéisme, c’est la pensée de l’infini (mathématique, mais aussi spatial). Je ne parviens pas à penser un infini d’espace, ni à le ranger (dans une quelconque boîte).
La deuxième chose, c’est la rencontre à l’université avec la pensée d’Henri Bergson (sujet de mon mémoire). Dans son livre, Matière et Mémoire, je suis tombé sur sa théorie de la mémoire. J’ai lu le livre il y a 20 ans mais voici ce dont je me souviens. La mémoire est un cône renversé dont la pointe constitue notre présent (voir schéma au tableau).
Ces deux choses font de moi, aujourd’hui, un agnostique.[1] Voilà pour le mini-cours de religion par votre maître ignorant/DJ.


« Messe pour le temps présent » Tracklist

Proposition de François

1/ Xela A Corpse Hangs In The House Of The Lord (excerpt) (Dekorder - 2010)
Xela est un musicien électronique britannique, qui tend dans ses derniers enregistrements à adopter une démarche de plus en plus abstraite. Le morceau repris ici est issu de l’album “The Divine” paru initialement seulement sur cassette (oui ça existe encore !, ça donne une petite idée de la radicalité de notre homme) et publié finalement sur LP vinyle (mais pas sur CD, il ne faudrait quand même pas vendre son âme au diable du mercantilisme). The Divine est le deuxième volet, après “The Illuminated”, d’une trilogie consacrée au divin et au sacré. Mais comme toujours avec Xela, c’est surtout un univers sombre et inquiétant qui se dégage de cette longue plage brumeuse de laquelle émerge des cloches d’églises et des fragments de prières.

2/ Dead Can Dance Emmeleia (4AD - 1993)
Dead Can Dance a été l’un des fleurons du label 4AD, qui a incarné au début des années 80 une certaine esthétique new wave, atmosphérique et gothique (Cocteau Twins, Bauhaus, X-Mal Deutschland, This Mortal Coil…). Parmi leurs influences majeures, on trouve la musique religieuse, qu’elle soit médiévale (“Orbis de Ignis” sur l’album The Serpent’s Egg, “Summoning the Muse” sur l’album Within the Realm of a Dying Sun ) ou orientale (“Song of Sophia” toujours The Serpent’s Egg). La chanteuse du groupe, l’allumée Lisa Gerrard, avait d’ailleurs l’habitude de se produire en concert vêtue d’une robe blanche de prêtresse. “Emmeleia” est tiré de l’album Into the Labyrinth et consiste en un duo accapela inventant sa propre langue et s’inspirant de chants orthodoxes d’Orient.

3/ Arvo Pärt Fratres (1977 – Berlin Philarmonic Cellists, ECM New Series, 1984)
Compositeur autrichien d’origine estonienne, Arvo Pärt est l’un des compositeurs contemporains les plus célèbres. Son œuvre est fortement marquée par sa foi chrétienne et il a réalisé de nombreuses œuvres pour chœurs d’inspiration religieuse. En 1976, sortant d’un long silence, il applique la méthode d’écriture qui deviendra sa marque de fabrique : la « tintinnabulation ». Selon le compositeur, il s’agit de travailler à partir de très peu d’éléments, d’un moment de silence ou des trois notes d’une triade, qui sonnent comme des cloches. Composé en 1977 dans ce style minimaliste, “Fratres” est basé sur les répétitions d’un thème austère, dont la sonorité s’amplifie au fur et à mesure, pour atteindre son apogée au milieu de l’œuvre. « Le titre de l’œuvre semble indiquer que cette musique fut inspirée par la vision d’une procession médiévale solennelle de moines s’acheminant à la lumière vacillante de chandelles […] vers les chapelles d’une abbaye, pour l’un des innombrables services qui réglait la vie monastique » (Richard E. Rodda, Livret de Fratres, I Famminghi).

4/ Vera Hall Death, Have Mercy (1960 – Atlantic, 1993)
Ce morceau est issu du coffret Sounds of the South, qui reprend les enregistrements réalisés en 1960 « sur le terrain » (fieldrecordings) par le génial ethnomusicologue Alan Lomax, dans le sud des Etats-Unis. Le travail de Lomax a consisté a enregistrer et conserver les traditions musicales folkloriques de nombreuses régions du monde. Le troisième volet de Sounds of the South est dédié à la « Negro Church Music » et reprend des chansons religieuses traditionnelles. Comme le précise Alan Lomax dans ses notes, le Negro Spiritual combine à la fois le témoignage de la foi religieuse et l’expression d’une révolte. “Death, Have Mercy” envisage l’arrivée de la mort d’une manière particulièrement dramatique et réaliste, décrivant la terreur de l’âme confrontée au spectre incarné de la mort. Pour la petite histoire, c’est dans le coffret Sounds of the South que Moby a largement puisé la source de ses samples pour son album Play de 1999 (“Honey”, “Find my Baby”, “Natural Blues”).

5/ Henryk Górecki Kleines Requiem für eine Polka (Edit) (1993 – London Sinfionetta, Nonesuch Records, 2005)
Compositeur polonais, Henryk Górecki est généralement classé, aux côtés d’Arvo Pärt, parmi les « minimalistes mystiques ». Il a connu un succès inattendu en 1992 lorsque sa Symphonie n° 3 (symphonie des chants plaintifs) s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires, dans sa version enregistrée sur Nonesuch Records avec la soprano Dawn Upshaw. Ecrite en 1977, cette symphonie reflétait déjà les sentiments religieux de son auteur, puisque deux de ses mouvements s’inspiraient de prières (l’une tirée de chants du XVe siècle, l’autre d’un texte à la vierge Marie inscrit par une prisonnière polonaise dans une cellule de la Gestapo). De composition plus récente, “Kleines Requiem für eine Polka” témoigne d’une atmosphère d’introspection, avec ses sons de cloche et son piano méditatif.

6/ The The Good Morning Beautiful (Intro) (Epic - 1989)
En 1989, Matt Johnson alias The The, réalise l’album Mind Bomb largement consacré à ses rapports tourmentés avec la religion. Dénonçant les fanatismes belliqueux dans “Armageddon Days (Are Here Again)” (« God doesn't live in Israel or Rome/God doesn’t belong to the yankee dollar/God doesn't plant the bombs for Hezbollah/God doesn't even go to church/And God won't send us down to Allah to burn »), il se revendique dans « Good Morning Beautiful » d’une spiritualité dégagée des religions humaines (« I know that God lives in everybody's souls and the only devil in your world lives in the human heart »), symbolisée par les chants de muezzins sur lesquels s’ouvre le morceau.

7/ Nusrat Fateh Ali Khan Shadow (Real World - 1996)
Chanteur pakistanais doté d’une voix extraordinaire, Nusrat Fateh Ali Khan a popularisé auprès d’un public occidental le qawwali, style musical s’inscrivant dans la tradition musulmane soufie, notamment par ses collaborations avec Peter Gabriel (sur la BO du film de Scorsese La Dernière Tentation du Christ) qui l’a accueilli sur son label Realworld. Les morceaux qawwali de Nusrat Fateh Ali Khan consistent en de longues psalmodies hypnothiques rythmées par le son des tablas et de l’harmonium, qui s’étirent souvent sur près d’une demi heure. Vu le temps limité de nos chambres d’écoute, je me suis tourné vers un morceau au format plus raisonnable, issu d’un album réalisé en collaboration avec le musicien Michael Brook.

8/ Xela A Corpse Hangs In The House Of The Lord (bis) (Dekorder - 2010)

Proposition d’Axel

1/ Richard Lowe Teitelbaum Golem (extract) (Tzadik)
Golem est un opéra multimédia crée par Teitelbaum dans les années 80. Teitelbaum est un des membres fondateurs de l’ensemble Musica Elettronica Viva, un groupe d’impro électro-acoustique des années 60 qui a notamment mis en musique le film Zabriskie Point. Dans cet opéra, il rassemble le fruit de ses nombreuses recherches sur le mythe du Golem. Ce mythe est un patchwork de thèmes : « les mystères de la création, les dangers de la magie et de la technologie, les défis de la cybernétique et de l’intelligence artificielle et même les problèmes du racisme, de la violence et de l’oppression. » (notes du livret) Le golem est une création de l’homme pour sauver le monde de la perdition. Mais la créature est « monstrueuse ». L’intention noble ne suffisait pas. Une version biblique du Frankenstein…

2/ Burial Prayer (Hyperdub)
Burial est un mystère. Anonyme. Cette musique est crée dans l’est de Londres et transpire le bitume. Burial est un des fers de lance du mouvement Dubstep, qui signait le retour des rythmes lents et des atmosphères lourdes (on est loin du Summer of love de Deep Dish). Prayer porte bien son nom. Burial signifie « enterrement ». Voilà pour le cadre. Le contenu est du pur condensé de tube (le métro londonien). Des beats simples, des cliquetis factices, des chants incantatoires… La rue abrite un temple, la délinquance juvénile est le rite de passage d’une jeunesse perdue. Burial nous laisse le soin de méditer, de prier. Cet album a fait beaucoup parler de lui à sa sortie.

3/ Bola Vespers (Skam)
Les heures de l’office (vêpres en français) sont ici à l’honneur. Dites autrefois le soir, aujourd’hui dans l’après-midi (après none et avant complies), dixit le Petit Robert.
Qu’est-ce qui pousse Bola (le véhicule musical de Darrell Fitton) à explorer ce thème ? Nous sommes sur le label Skam (crée à Manchester dans les années 90 par Andy Maddocks et associé depuis le début à Autechre) et c’est comme un cœur qui bat. Darrel Fitton s’est fait connaître de la communauté électro en 1994 en publiant un morceau sur la légendaire compilation Artificial Intelligence du label Warp (on peut trouver pire comme ascendance). Les journées sont rythmées par les prières. Il s’agit d’un certain rapport à la temporalité. A la vie intérieure, aussi. Pour moi, la religion est une certaine manière de vivre la temporalité (je suis très sensible à la notion de Shabbat, par exemple). (D’après Wikipedia)

4/ GusGus Starlovers (4AD)
Ce collectif artistique (vidéo, graphisme, musique, etc.) vient d’Islande. Il a connu ses moments de gloire (on se souvient d’un concert ultra complet à l’Orangerie du Botanique) pour sombrer dans une relative indifférence quelques années après. En 2009, ils sont revenus, en grande forme, ressuscités par le label Kompakt (décidément toujours proche de nous).
Extrait de l’album This is normal (1999), ce morceau parle de la quête d’un sens, à l’adolescence. « They need love, they need god, they need guidance from above ». La distance, le rapprochement, le groupe … Le cocktail ado qui rend si vulnérable … Cette vulnérabilité qui rend si beau…

5/ Deep Dish Mohammad is Jesus (Deconstruction/Deep Dish Records) Nous sommes en 1998. La planète Dance brille de tous ses feux à l’approche du Millenium. Ce duo américano-iranien est au firmament. Ils ont remixé les plus grandes stars du monde de la pop. Parallèlement, ils créent deux labels et inondent les dancefloors de leur musique aux BPM précis et réguliers (120 battements par minute). Dans ce morceau, ils s’essaient à l’œcuménisme : Richard Morel, le chanteur et auteur du texte, nous conte l’histoire de la naissance d’un enfant qui prend les contours d’un prophète. Le refrain « Mohammad is Jesus is Bouddha is love is the way I see it » Comment comprendre autrement ce titre ? Blasphème ou conséquence logique du monothéisme ? Si Dieu est créateur, il a fait feu de tout bois… L’amour a le dernier mot.

6/ Geeez ‘n’ Gosh The Love of God (Mille Plateaux)
Derrière ce projet se cache Atom (aka Uwe Schmidt) et mille autres projets. Certains d’entre vous étaient à la soirée Raster-Noton (du récent BEMF – Brussels Electronic Music Festival) et ont vu Atom dans la magnifique salle Henry Le Bœuf. Ici, Uwe rend hommage au blues et au gospel, en les recouvrant d’une couche de beeps et autres défauts sonores. L’ultra contemporain (toujours déjà un peu démodé) rejoint l’intemporel : la musique permet ce genre d’oxymore (toujours heureux de le placer ce mot-là). Geeez ‘n’ Gosh sont des altérations de Jesus ‘n’ God.

7/ Chango Oba ilu, cuba (Soul Jazz Records)
Chango est un groupe afro-cubain dont la religion, la santeria, trouve son origine dans la tribu Yoruba du Niger. L’esclavage a amené, comme on le sait, les africains vers le nouveau monde. La religion africaine est devenue la santeria à Cuba, le voodoo à Haïti et le candomblé au Brésil. Face aux colons espagnols, les esclaves ont subtilement mélangé leurs croyances avec le catholicisme pour former la santeria.
Oludumare est le dieu tout-puissant de la santeria. Il est au-delà du règne humain. Cependant, juste en dessous de lui, se trouvent les Orishas, qui, eux, sont accessibles au santero (le fidèle de la santeria). (notice de la pochette)

8/ September Collective Sasqualtera (Mosz)
Ce collectif est, en soi, un genre de « supergroupe », comprenez que chaque membre est connu pour œuvrer dans un autre contexte (où il a acquit une certaine notoriété). Barbara Morgenstern, Schneider, et Paul Wirkus ont choisi de se rassembler dans la Johannes Kïrche (un grande église protestante dans le centre de Düsseldorf) pour utiliser l’orgue de cette vénérable institution. Le timbre d’un instrument, l’esprit d’un lieu : voilà pour le concept. L’orgue aura été MIDIfié (nourri par des sons parasites) et l’église aura été truffée (littéralement) de micros. Sur le disque ne restent que quelques fragments de cette longue session d’improvisation. Un album austère, partagé entre sa fidélité au lieu et sa trahison du timbre…





Chambres d’écoute à venir

#10 DJ Culture : 5X10 (cinq DJ passent les dix morceaux qu’ils préfèrent pour danser). Toujours retardée mais elle arrive…(Hors-série)
#19 H2O les qualités sonores de l’or bleu (série les 4 éléments). Avec un bar à eaux minérales comme au Japon.
#20 20X10en2010 la dixième chambre d’écoute rencontre la vingtième.
#21 New Weird America (Série Territoires Imaginaires). Les USA, un territoire qui fait à nouveau rêver ?
#22 Pour continuer en français, tapez 1. Le téléphone et ses détournements dans la musique (série Objets)
#23 Du doigté : la harpe et l’accordéon au format pop (série Instruments)
#24 Les figures de l’absence (hommage à Rachel Whiteread) (série Arts & Plastiques)
#25 Green Blue Red (Hommage à Elsworth Kelly) (série Arts & Plastiques)
#26 La Structure des révolutions musicales (sciences recherches musiques) (série para//èle)
#27 Chambre close/ musique et sexe (série para//èle)
#28 Expéri-Métal/deux mondes que tout oppose ? (avec l’aide de Fabrice Altes
#29 Maîtres et Disciples/ l’école par la musique (série para//èle)
#30 Noise Vs. Silence : une double chambre d’écoute (avec tirage au sort pour savoir si on commence avec le bruit ou le silence) (série Versus)

Calendrier des prochaines chambres d’écoute à Congrès en 2010 (à vos agendas)

Mercredi 15 septembre - Mercredi 17 novembre



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[1] Le Petit Robert défini l’agnosticisme comme « la doctrine d’après laquelle tout ce qui est au-delà du donné expérimental (tout ce qui est métaphysique) est inconnaissable. »